Exilles de 1681 à 1687

Le fort d’Exilles

exilles
Le fort d’Exilles en 1681

Exilles, fort perdu dans les hauteurs alpines, est loin des rumeurs des villes. Là-bas, personne ne s’intéressera jamais aux « Messieurs de la tour d’en bas ». Saint-Mars a fait aménager à leur intention une chambre forte donnant sur ses futurs appartements, ce qui va énormément lui simplifier la vie.

En octobre 1681, les deux « Messieurs » quittent enfin Pignerol sous bonne escorte et à l’abri des regards : ils voyagent dans une litière bâchée jusqu’à Exilles. Leur équipage comprend également les bagages du prisonnier Matthioli qui reste pourtant au donjon de Pignerol ! À quoi rime donc cette mise en scène ? L’idée est de Louvois qui, pensant toujours à tout, laisse croire aux soldats de l’escorte que les deux hommes enfermés dans la litière sont Matthioli et son valet. En effet, rappelons qu’officiellement, les deux « Messieurs de la tour d’en bas » n’existent pour personne d’autre que pour Saint-Mars et Louvois.

Opération intoxication réussie au-delà de tout espoir : jusqu’à tout récemment, on croyait encore que le Masque de fer était Matthioli ! Cette thèse s’essouffle aujourd’hui, car plusieurs lettres officielles démontrent qu’il est bien resté à Pignerol de 1679 jusqu’en 1694. Il n’avait rien à voir avec ces deux mystérieux Messieurs envoyés à Exilles et c’est l’un d’eux, et l’un d’eux uniquement, qui deviendra le Masque de fer de l’île Saint-Marguerite. Matthioli aura tout de même son petit rôle à jouer dans l’histoire, mais ce sera bien plus tard, j’y reviendrai en temps voulu.

Pour l’instant, Louvois se désintéresse du sort des prisonniers Matthioli, Dubreuil et La Pierre. Ce qui le préoccupe, énormément, ce sont les « Messieurs de la tour d’en bas » :

« Comme il est important, recommande-t-il à Saint-Mars, d’empêcher que les prisonniers qui sont à Exilles, que l’on nommait à Pignerol de la tour d’en bas, n’aient aucun commerce, le Roi m’a ordonné de vous commander de les faire garder si sévèrement et de prendre de telles précautions que vous puissiez répondre qu’ils ne parleront à qui que ce soit, non seulement de dehors, mais même de la garnison d’Exiles. »

Ce à quoi Saint-Mars répond :

« J’ai deux sentinelles de ma compagnie nuit et jour, des deux côtés de la tour où ils logent, d’une distance raisonnable, qui voient obliquement la fenêtre des prisonniers ; De ma chambre j’entends et vois tout, et même mes deux sentinelles qui sont toujours alertes par ce moyen-là. Pour le dedans de la tour, je l’ai fait réparer d’une manière où le prêtre qui leur dit la messe ne les peut voir à cause d’un tambour que j’ai fait mettre qui couvre leurs doubles-portes. »

Rappelons quand même que les « Messieurs de la tour d’en bas », ce sont les anciens valets de Fouquet, d’Angers (anciennement écrit Danger) et La Rivière. Que de précautions pour deux domestiques !

Les années passent et le moral de Saint-Mars s’assombrit de plus en plus. Son existence à Exilles ne lui convient pas davantage que celle qu’il menait à Pignerol. Le prestige d’un geôlier est lié à celui de ses prisonniers ; de consacrer le reste de sa vie à deux prisonniers anonymes, ça se répercute sur son moral. Craignant sans doute que son homme de confiance, dans un excès de mélancolie, ne se livre à quelques confidences malencontreuses, Louvois envisage de le faire changer d’air.

En 1687, il se passe deux événements importants :

1) Le 3 janvier 1687, l’un des deux « Messieurs » meurt d’hydropisie. La correspondance ne révèle pas son nom, mais on sait que le valet La Rivière souffrait de ce mal depuis longtemps ; il est donc admis que ce soit lui qui vient de mourir. Des deux « Messieurs de la tour d’en bas », il ne reste donc plus que le dénommé d’Angers.

2) Le 8 janvier 1687, une lettre de Louvois apprend à Saint-Mars que le roi l’a nommé gouverneur des Iles Sainte-Marguerite, en Provence. Il est prié de s’y rendre pour y faire aménager une prison de haute sécurité, comme à Exilles. Revigoré par ce changement de vie, Saint-Mars part faire connaissance avec ces îles enchanteresses et s’empresse de mettre en branle le chantier de construction des nouvelles prisons. Le pluriel est volontaire, car elles sont deux, côte à côte, qui sont appelées de nos jours « prison du Masque de fer » et « prison du valet ».

Lire la suite >> l’île Sainte-Marguerite