Lettre du 18 décembre 1675 de Saint-Mars à Louvois
« Je vous avouerai, Monseigneur, que M. Fouquet m ‘a pris par mon faible, en me faisant entendre les grands services qu’il pouvait rendre au Roi et à vous, s’il avait la liberté de pouvoir Mme sa femme, ou quelqu’un de ces deux messieurs que je me suis donné l’honneur de vous mander. Mais puisque S M ne désire point se servir de ces expédients, cela finira puisque je leur ai dit une fois pour toutes, que je n’oserais entretenir de telles choses sans votre permission.
(…)
Si je suis assez heureux pour que ma conduite vous agrée, je continuerai toute ma vie volontiers, pourvu que vous me fassiez la grâce de me faire entendre que mes petits services ne vous désagréeront point dans ce poste ici. Car pour le service du roi seulement je ne fais point de doute que tout autre que moi ne fit encore mieux que je n’ai fait depuis quatorze années que je fais ce métier ici, tant sous défunt M. d’Artagnan qu’ici où je suis depuis onze années. Comme ce temps-là m’a empêché d’avancer dans les armées, ainsi qu’a fait tout ce qui était moins en passe que moi, je vous demande en grâce Monseigneur, de me donner quelque honneur ou la permission de me faire casser la tête aux armées, où j’ai toujours servi depuis l’âge de douze ans. Je ne demande ni de biens ni de revenus mais seulement un peu d’honneur, où que vous me disiez que mes services vous agréent ici. En ce cas je ne vous demanderai jamais de ma vie de sortir d’ici, ni aucune autre chose, et je m’estimerai trop heureux de me sacrifier de toute manière pour vous plaire et de pouvoir me dire votre créature très respectueuses et très soumise; »
Archives de la Bastille – recueillies par François Ravaisson
Commentaire
Saint-Mars, toujours convaincu que l’intérêt du roi et de l’état est d’être informé du secret de Fouquet, ne perd pas espoir de faire aboutir le projet.
Le 23 novembre 1675 il revient sur le sujet et suggère que Mme Fouquet ou une autre personne de confiance pourrait se rendre à Pignerol pour y recueillir de la bouche de Fouquet des lumières sur « les grands services » que celui-ci pourrait rendre au roi (et à Louvois par ricochet).
Dans la lettre du 3 décembre 1675, Louvois répond à Saint-Mars de façon presque humiliante :
« J’ai reçu avec votre lettre du 23 du mois passé, les papiers qui y étaient joints. J’ai lu ce qui était écrit dans le billet séparé de votre lettre. Ce qu’il contient n’est pas une chose qui mérite de réponse le Roi ne désirant point se servir des expédients qui y sont marqués. Vous pouvez néanmoins dire à celui qui vous a parlé que vous n’osez m’écrire de pareilles choses, cependant je vous prie de ne pas laisser de m’avertir de tout ce qu’il vous dira. »
(Source Gallica – BNF)
Dans la lettre du 18 décembre 1675, l’ancien maréchal des logis de d’Artagnan, vexé, prend sa plume et ne cache pas son indignation. « Fouquet, proteste-t-il, m’a pris par mon faible en me faisant entendre les grands services qu’il pouvait rendre au roi et à vous mais j’ai toujours servi le roi de façon irréprochable depuis quatorze années que j’exerce ce métier. » (Saint-Mars est devenu le gardien de Fouquet à Angers en 1661). Comme cette fonction para militaire ne lui a pas permis de monter en grade, Saint-Mars sollicite « quelque honneur ou la permission de se faire casser la tête aux armées ».