Le 8 avril 1680

Le 8 avril 1680 : la date clef de l’énigme

Le 8 avril 1680, Louvois adresse la lettre suivante à Saint-Mars :

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Lettre du 8 avril 1680 de Louvois à Saint-Mars

« Le Roi a appris par la lettre que vous m’avez écrite le 23e du mois passé, la mort de M. Fouquet, […] l’Intention de Sa Majesté est […] que vous persuadiez M. de Lauzun que les nommés Eustache d’Angers et la Rivière, ont été mis en liberté, et que vous en parliez de même a tous ceux qui pourraient vous en demander des nouvelles, que cependant vous les renfermiez tous deux dans une chambre ou vous puissiez répondre à Sa Majesté qu’ils n’auront communication avec qui que ce soit […]. »

Il y a dans cette lettre deux points essentiels :

1) La mort de Fouquet, sur laquelle Louvois ne s’étend pas mais dont la nouvelle va consterner ses amis. Comme frappée de stupeur, la famille du surintendant reste sans réaction. Il est à noter que la lettre de Saint-Mars qui aurait informé Louvois de la mort de Fouquet n’a pas été retrouvée à ce jour.

2) Le fait que l’on va faire croire à tout le monde que les valets Eustache d’Angers (au lieu de « Danger » comme il était écrit jusque là) et La Rivière ont été libérés alors qu’ils sont en réalité détenus dans un lieu retiré du donjon. Ce lieu retiré, accessible seulement à Saint-Mars, c’est « la tour d’en bas », d’où le surnom attribué par Louvois à ses habitants : « les messieurs de la tour d’en bas ».

Les prisonniers de la citadelle de Pignerol en 1680
Les prisonniers de la citadelle de Pignerol en 1680

Louvois ne s’étale pas sur la mort de Fouquet, ce qu’il retient ce sont « les choses importantes » que celui-ci aurait révélées à Lauzun et indirectement à La Rivière. D’où les mesures coercitives prises à l’encontre de d’Angers et de la Rivière. Nous n’en saurons pas plus, la lettre de Saint-Mars n’ayant pas été retrouvée.

Cette lettre du 8 avril est étrange. Je suis surpris (moi, pas les historiens) que le roi ait pu ordonner de jeter, sans motif avoué, deux hommes dans une oubliette et de camoufler cette acte inique à l’aide d’un mensonge. Il est encore plus surprenant que Louvois ait étalé cette dissimulation honteuse dans une lettre destinée aux archives de son ministère.

Ne comptons pas sur Saint-Mars pour nous éclairer, je n’ai retrouvé ni sa lettre annonçant la mort de Fouquet, ni sa réponse à celle de Louvois. Retenons donc simplement qu’à partir du 8 avril 1680, les noms « d’Angers » et « La Rivière » disparaissent de la correspondance ; ils sont désormais : « les Messieurs de la tour d’en bas ».

Ces « Messieurs de la tour d’en bas » sont d’une importance capitale dans cette enquête : l’un d’eux deviendra un jour le Masque de fer de l’île Sainte-Marguerite. Nous verrons comment, mais chaque chose en son temps.

Si en 1680 leur situation est dramatique à Pignerol, celle de Saint-Mars est inconfortable. Lui qui était si fier jadis de sa position de premier geôlier de France, il doit se cacher comme un malhonnête pour porter leurs repas à deux « Messieurs » qui, officiellement, ne sont pas là !

On sait que seul Saint-Mars pouvait approcher les deux « Messieurs de la tour d’en bas ». Personne d’autre ne devait soupçonner leur existence. Autrement dit, Saint-Mars ne pouvait jamais s’absenter du donjon plus d’un jour. On comprend qu’il soit devenu dépressif au fil des mois. Au bout d’un an d’allées et venues à la tour d’en bas, le ministre Louvois voit des signes de lassitude transparaître dans la correspondance de Saint-Mars ; il lui offre une brillante promotion, celle de gouverneur de la citadelle entière de Pignerol, mais sans succès. Le geôlier n’est plus satisfait de son sort.

Louvois a alors une idée : il fait nommer Saint-Mars gouverneur d’une nouvelle prison, une prison où il pourra emmener ses Messieurs et s’occuper d’eux sans avoir à prendre des précautions aussi contraignantes. Cette prison se trouve à 50 kilomètres de Pignerol, à Exilles.

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