Lettre du 11 mars 1682

Lettre du 11 mars 1682 de Saint-Mars à Louvois

 

« Vous me mandez, Monseigneur, qu’il est important que mes deux prisonniers n’aient aucun commerce. Depuis le commencement que Monseigneur m’a fait ce commandement-là j’al gardé ces deux prisonniers qui sont à ma garde aussi sévèrement et exactement que j’ai fait autrefois Fouquet et Lauzun, lequel ne se peut pas se vanter d’avoir donné ni reçu des nouvelles tant qu’il a été enfermé(1).

Ceux-ci peuvent entendre parler Ie monde qui passe au chemin qui est au bas de la tour où ils sont, mais eux, quand ils le voudraient, ne sauraient se faire entendre ; ils peuvent voir les personnes qui seraient sur la montagne qui est devant leurs fenêtres mais on ne saurait les voir à cause des grilles qui sont au devant de leurs chambres(2). J’ai deux sentinelles de ma compagnie nuit et jour, des deux côtés de la tour, d’une distance raisonnable, qui voient obliquement la fenêtre des prisonniers ; il leur est consigné d’entendre si personne ne leur parle et s’ils ne crient point par les fenêtres et de faire marcher les passants qui s’arrêteraient dans le chemin ou sur le penchant de la montagne. Ma chambre étant jointe à la tour, qui n’a d’autre vue que du côté de ce chemin, fait que j’entends et vois tout, et même mes deux sentinelles qui sont toujours alertes par ce moyen-là.

Pour le dedans de la tour, je l’ai fait réparer d’une manière où le prêtre qui leur dit la messe ne les peut voir à cause d’un tambour que j’ai fait mettre qui couvre leurs doubles-portes. Les domestiques qui leur portent à manger mettent ce qui est de besoin aux prisonniers sur une table qui est là et mon lieutenant le prend et le porte. Personne ne leur parle que moi, mon officier, M. Vignon le confesseur et un médecin qui est de Pragelas à six lieues d’ici, et en ma présence. Pour leur linge et autres nécessités, mêmes précautions que je faisais jadis pour mes prisonniers du passé. »

(Service Historique de l’Armée de Terre (Vincennes) – Série A1, vol.686, p.216)

(1) Saint-Mars omet d’évoquer les rencontres clandestines entre Lauzun et Fouquet

(2) II apparait ici que chacun des prisonniers avait sa chambre.

Commentaire

Le rappel à la prudence du 2 mars 1682 a agacé Saint-Mars. Pourquoi relâcherait-il une surveillance qu’il n’a jamais cessé d’exercer depuis que l’ordre lui a été donné de couper de tout contact d’Angers et La Rivière ?

Non, depuis qu’il est à Exilles, il n’a rien négligé, il a même poussé les scrupules jusqu’à placer à l’extérieur de la tour qui les abrite deux sentinelles, postées de jour et de nuit à une distance « raisonnable » de part et d’autre de la fenêtre des prisonniers, et de biais, de façon à ne pouvoir les apercevoir.

L’utilisation d’une porte à tambour devant leur chambre en dit long également sur la nécessité que puisse les voir. Le tambour dont il est question ici n’a rien à voir avec les “portes-tambour” d’aujourd’hui. Selon le dictionnaire de l’Académie française de 1694 : “Tambour est une avance de menuiserie avec une porte au-devant de l’entrée d’une chambre, pour empescher le vent”. A Exiles, le but n’est pas d’empêcher le vent de passer, mais de créer un espace permettant au prêtre ou au médecin de se faire entendre sans ne rien voir. En supposant qu’il y ait eu nécessité d’entrer dans la chambre, Saint-Mars devait imposer au prisonnier le port d’un masque (peut-être pas pour La Rivière). Le gardien restait alors présent, interdisant toute confidence inopportune.

« Ce qui frappe dans la correspondance de cette époque, écrit l’historien Jean-Christian Petitfils dans le Masque de fer, entre histoire et légende, ce sont les précautions que l’on prend pour ces deux anciens valets de Fouquet apparemment insignifiants, alors que le ministre se soucie peu de ceux qui sont restés à Pignerol. »

M. Petitfils a-t-il jamais envisagé que l’un de ces hommes « apparemment insignifiants » pouvait ne pas être un valet ? Alors que dans son Masque de fer entre histoire et légende au chapitre De Pignerol à Exilles, nous lisons : « Dans les comptes du Trésor royal tenus par les scribes de Colbert, ces captifs apparaissent sous des appellations déformées : « Messieurs de la tour d’en bas et un valet », « La tour d’enbas et un valet », « La tour d’aubas et son valet ». »

Un seul valet à chaque fois.