Pignerol de 1666 à 1680

Neuf prisonniers : un seul Masque de fer

Jusqu’en 1674, il y avait dix prisonniers à la prison de Pignerol, ainsi répartis :

– au sous-sol de la tour d’angle : Eustache Danger
– au premier étage de la tour d’angle : Lauzun, l’ancien favori du roi et son valet
– au second étage de la tour d’angle : Nicolas Fouquet et ses valets Champagne et La Rivière
– au premier étage de la tour médiane : le moine La Pierre et l’espion Dubreuil
– au second étage de la tour médiane : l’ancien favori du duc de Mantoue Matthioli et son valet

Les prisonniers de la citadelle de Pignerol en 1674
Les prisonniers de la citadelle de Pignerol en 1674

À partir de 1674, l’un des deux valets de Fouquet (le dénommé Champagne) meurt en prison. Eustache Danger est bientôt mis au service de Fouquet à sa place et quitte son sous-sol pour le deuxième étage de la tour d’angle.

En 1679, quand Pignerol accueille ses derniers prisonniers (Matthioli et son valet), il n’y a donc plus que neuf prisonniers au total.

Le Masque de fer n’existe pas encore à cette époque (sa légende naîtra quelques années plus tard), mais celui qui le deviendra un jour compte parmi ces neuf prisonniers.

Les prisonniers de la citadelle de Pignerol en 1679
Les prisonniers de la citadelle de Pignerol en 1679

 

Événements survenus à Pignerol entre 1666 et 1680

Nous voilà en 1679 et le donjon compte neuf prisonniers. Depuis l’arrivée de Fouquet en 1666, treize années se sont écoulées et un certain nombre d’événements ont émaillé la vie du donjon. J’ai estimé qu’il était pertinent d’en faire la liste, car ils auront leur importance pour la suite de l’enquête !

– Six mois après l’arrivée de Fouquet le donjon explose, la poudrière frappée par la foudre. Cinquante morts. L’appartement de Fouquet n’a plus de plancher. On le retrouve miraculeusement indemne sur le rebord d’une fenêtre. Dans le courant d’août 1666, il réintègre le donjon restauré.

– En 1669 deux hommes s’infiltrent dans le personnel et tentent de récupérer des documents que Fouquet leur jette du haut de sa tour. Ils sont pris sur le fait. L’un est pendu, l’autre condamné aux galères !

– En 1673 se produit un événement dont les historiens parlent peu. Fouquet rédige un mémoire dans lequel il s’engage à livrer au roi, si celui-ci le libère, un secret extraordinaire. Que Dieu, assure-t-il, serait fâché qu’il se perde ! De quoi peut-il s’agir ? Mystère. Louvois intercepte sa lettre avant qu’elle ne parvienne au roi, la retourne et la fait brûler sous les yeux de Fouquet.

– En 1674, Lauzun, qui lui n’a pas de secret à monnayer (pour l’instant du moins) tente de s’évader. Il échoue de peu.

– En 1675, Eustache Danger, confiné dans l’isolement le plus total depuis six ans, entre au service de Fouquet, en remplacement du valet Champagne, décédé en septembre 1674.

– Lauzun ne cesse de tourner en rond dans sa prison comme un loup dans sa cage. Un jour, ou plutôt une nuit, il parvient à s’introduire chez Fouquet, à l’étage au dessus, en empruntant un conduit de cheminée. S’ensuivent, à l’insu du gardien, des rencontres nocturnes au cours desquelles Fouquet confie des choses importantes à son visiteur : ce qui, on le verra, ne sera pas sans conséquences. Mais n’anticipons pas.

– En 1677, Mme Fouquet et son fils Gilles rendent visite à la favorite du roi, la Montespan, qui prend les eaux à Bourbon. Selon Madame de Sévigné qui assiste à la rencontre, il a été beaucoup question de Nicolas Fouquet.

Portrait de Mme de Montespan conservé au château de Versailles
Portrait de Mme de Montespan conservé au château de Versailles

– Peu après, la condition carcérale de Fouquet s’adoucit. Il peut prendre l’air dans un enclos du donjon, deux fois par semaine, en compagnie de Lauzun. Les deux hommes feignent sans doute une grande surprise ; Saint-Mars ignore tout de leurs rencontres nocturnes. Ce changement d’attitude du roi, jadis partisan de la mort de Fouquet, intrigue toujours les historiens. Certains pensent que la rencontre de la Montespan et des Fouquet y est pour quelque chose. La favorite aurait-elle, après ce conciliabule, transmis au roi une proposition de la famille du prisonnier de Pignerol et cette proposition aurait-elle débouché sur un pacte ? Simple hypothèse qui aurait le mérite d’expliquer la soudaine mansuétude royale.

– Les faveurs envers Fouquet s’amplifient d’année en année. En 1679, la famille du prisonnier est invitée à séjourner au donjon. Fouquet et Lauzun jouissent cette année-là d’un régime de semi-liberté et l’on peut voir l’ancien Surintendant parcourir les rues de la citadelle en compagnie de sa famille. Il n’avait pas vu les siens depuis quatorze ans ! À la cour, on parle d’une grâce et l’on guette son retour. En décembre Fouquet demande même l’autorisation de quitter Pignerol pour se rendre à Bourbon.

– Soudain, le vent tourne. Aux premiers jours de janvier 1680, Fouquet se fâche mortellement avec Lauzun qui a eu l’outrecuidance de faire des avances à sa fille, alors qu’elle lui rendait visite. Les deux prisonniers, jusque là camarades d’infortune, deviennent des ennemis. Lauzun adresse à Louvois une lettre sibylline qui ressemble beaucoup à une dénonciation :

« Je souhaite autant être libéré que de vous informer de choses qu’il ne m’est impossible de confier par écrit. Vous n’avez jamais eu de meilleur serviteur que moi relativement à vos intérêts et à votre fortune. (…) Cela est au dessus de tout ce que vous pouvez imaginer. »

Un messager vient recueillir la déposition de Lauzun, puis repart en rendre compte à Louvois. Désormais les événements vont se précipiter.

– Le 13 mars 1680, Louvois, averti des rencontres nocturnes qui ont permis à Lauzun de recueillir les confidences de Fouquet, prie Saint-Mars de vérifier l’existence du conduit reliant leurs prisons.

– Le 23 mars 1680, Saint-Mars rend compte de son inspection et confirme : les deux prisons communiquaient bien l’une avec l’autre à son insu.

Le 8 avril 1680, l’énigme du Masque de fer prend naissance avec l’étrange lettre que Louvois destine à Saint-Mars.

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