Les deux thèses rivales
« Cette belle prison que je fais aménager face à mes appartements, je la destine à un prisonnier que je garderai personnellement. Ne me demandez pas son nom. Personne ne doit le connaître. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il a vécu de longues années à Pignerol et qu’il y a des gens que le public croit morts et qui ne le sont pas. »
Ces paroles stupéfiantes de Saint-Mars vont être répétées à des voyageurs de passage sur l’île et répercutés dans une gazette janséniste diffusée sous le manteau. Quelle part de vérité contiennent-elles ?
On n’y comprend plus rien. Nous l’avons vu, le prisonnier masqué est le survivant des deux « Messieurs de la tour d’en bas ». Si l’on s’en réfère à la lettre de Louvois du 8 avril 1680, c’est un ancien valet de Fouquet, soit d’Angers (anciennement écrit « Danger »), soit La Rivière. Nous avons vu que c’était vraisemblablement d’Angers, mais ça n’en reste pas moins un domestique. Or, si l’on s’en rapporte aux confidences de Saint-Mars, le prisonnier transporté dans une chaise à porteurs est un homme de grande importance. Il est même connu du public, public qui le croit mort.
Dans sa lettre du 8 avril 1680, Louvois suggérait deux valets et voilà que Saint-Mars désigne l’un d’eux comme une personnalité illustre. C’est contradictoire. À qui donc se fier ? À Louvois ou à Saint-Mars ?
L’un a menti. C’est cette alternative qui a donné naissance aux deux thèses rivales, inconciliables et néanmoins légitimes : la thèse Eustache Danger et la thèse Nicolas Fouquet.