Lettre du 8 avril 1680

Lettre de Louvois à Saint-Mars du 8 avril 1680

Commentaire préliminaire

Il faut se remémorer l’enchaînement des événements qui aboutissent à l’envoi de cette lettre de Louvois. En janvier Lauzun le prévient qu’il a des révélations à lui faire. Barail se rend à Pignerol et revient rendre compte au ministre de certaines révélations reçues de Fouquet, avec un plan localisant le trou dans l’âtre de la cheminée de Fouquet, par où s’est glissé Lauzun pour se rendre chez son voisin du dessus. Louvois réagit aussitôt. « Vous verrez par le mémoire ci-joint, écrit-il à Saint-Mars, la manière dont vos prisonniers se communiquent à votre insu. Je vous prie de vérifier si ce qu’il contient a quelque chose de véritable, et de me mander ce que vous en aurez découvert. » Le 23 mars, Saint-Mars rend compte de ce qu’il a découvert. Sa lettre ayant disparu, les historiens l’on reconstituée à partir de la réponse de Louvois, que voici :

Lettre de Louvois à Saint-Mars du 8 avril 1680 – page 1

Archives Nationales K120 n°302 – p1

A St Germain en laye le 8 avril 1680

Le Roi a appris par la lettre que vous m’avez escrite le 23e du mois passé, la mort de Monsieur Fouquet, et le jugement que vous faite que Monsieur de Lauzun sait la plupart des choses importantes dont Monsieur Fouquet avait connaissance, et que le nommé la Rivière ne les ignore pas ./. Surquoy Sa Majesté m’a commandé de vous faire savoir qu’après que vous aurez fait reboucher le trou par lequel Mess Fouquet et de Lauzun ont communiqué a votre insu , et cela retabli si solidement qu’on ne puisse plus travailler en cet endroit, et que vous aurez aussi fait défaire le degré qui communique de la chambre de feu Mons Fouquet a celle que vous aviez fait accommoder pour Melle sa fille, I’Intention de Sa Majesté est que vous logiez Monsieur de Lauzun dans la chambre de feu Mons. Fouquet, et fassiez de si fréquentes visites dans la dite chambre, même en en faisant remuer tous les meubles, que Monsieur de Lauzun ne puisse point faire travailler en aucun endroit de son logement que vous ne vous en aperceviez ./.

Que vous persuadiez a Monsieur de Lauzun que les nommés Eustache d’Angers (sic), et ledit la Rivière, ont été mis en liberté, et que vous en parliez de mesme

Commentaire

Louvois déclare qu’il a transmis au roi l’annonce faite par Saint-Mars de la mort de Fouquet. Et le jugement du même Saint-Mars que Lauzun et La Rivière savent la plupart des choses importantes connues de Fouquet.

Première surprise, c’est la mort de Fouquet qui survient juste au moment où le roi s’apprêtait à le libérer. Seconde surprise, ce sont Lauzun et La Rivière qui en savent trop et ce sont d’Angers et La Rivière que l’on met hors d’état de parler. Certes Lauzun est intouchable, parce qu’on a besoin de sa signature pour récupérer les importantes propriétés que Mademoiselle lui a offertes un peu légèrement dix ans plus tôt.

En revanche on peut s’étonner de voir emprisonner deux valets dont l’un était mort depuis plus d’un mois (voir la lettre du 12 mars 1680). Ce que confirme le fait qu’en début de lettre le nom de Danger ne figure pas, à l’inverse de Lauzun et de la Rivière. Quelle peut être alors la véritable identité du dénommé d’Angers. A vrai dire, on s’en doute un peu.

Lettre de Louvois à Saint-Mars du 8 avril 1680 – page 2

Archives Nationales K120 n°302 – p2

« à tous ceux qui pourraient vous en demander des nouvelles, que cependant vous les renfermiez tous deux dans une chambre ou vous puissiez répondre a Sa maj qu’ils n’auront communication avec qui que ce soit de vive voix ni par escrit et que Monsieur de Lauzun ne pourra point s’apercevoir qu’ils y sont renfermés ./.

Vous avez eu tort de souffrir que Monsieur de Vaux ait emporté les papiers et les vers de Monsieur son père et vous deviez faire enfermer cela dans son appartement pour en être usé ainsi que Sa Majesté en ordonnerait ./.

Vous pouvez disposer des meubles appartenant à Sa Majesté et qui ont servi à Monsieur Fouquet comme vous I’estimerez a propos ./.

Lorsque Sa Majesté envoya Monsieur de Lauzun a Pignerol elle fit un fond nouveau pour son entretiennement, vous trouverez cy joint I’estat de celuy qui sera fait a l’advenir tant pour la subsistance, que pour I’entretlennement de votre compagnie.

A l esgard des autres prisonniers dont vous estes 4chargé, Sa Majesté vous en fera payer la subsistance a raison de quatre livres pour chacun par jour, et en m’en envoyant un estat tous les trois mois je prendrai les ordres de Sa Majesté pour pourvoir »

Commentaire

Louvois, conscient de l’effroi qui doit s’emparer de Saint-Mars quand il découvre qu’il va devoir garder deux hommes à l’insu de tous les occupants du donjon – car c’est bien ce que lui demande Louvois, et de plus au nom de Sa Majesté, juge opportun de lui offrir, en guise de consolation, quelques compensations. En particulier une augmentation sensible des sommes allouées au remboursement des frais d’entretien des prisonniers et de sa compagnie, sommes importantes sur lesquelles le gouverneur pourra prélever de précieux dividendes.

Lettre de Louvois à Saint-Mars du 8 avril 1680 – page 3

Archives Nationales K120 n°302 – p3

« à votre remboursement sur ce pied-la Le Roi a permis à Monsieur le Chancelier de Lauzun d’aller demeurer quelque temps auprès de Monsieur son frère, Sa Majesté ne veut point que vous le laissiez entrer armé dans le Donjon, ny que vous souffriez qu’il y mange ; et pour vous expliquer plus particulièrement la conduite que vous devez tenir a cet égard, je vous dirai que vous pouvez permettre qu’il entre dans l’appartement de Monsieur son frère les matins a huit heures, a condition d’en sortir à onze avant midi ; l’y laisser rentrer a deux heures après midi, a condition aussi d’en sortir a six heures du soir en hiver, et a sept en été, que tant qu’ils voudront demeurer seuls ensemble dans son appartement vous pouvez les y laisser mais que s’il désire se promener dans les lieux qui lui sont pemiss par les précédents ordres de Sa Maj , vous ne devez pas souffrir qu’il sorte sans que vous y soyez, ou deux de vos Lieutenants, vous faisant et eux aussi accompagner si bien qu’il ne puisse rien entreprendre pour se sauver. Et comme Mons. le chancelier de Lauzun »

Lettre de Louvois à Saint-Mars du 8 avril 1680 – page 4

Archives Nationales K120 n°302 – p4

« pourrait porter a son frère soit des armes, soit des Instruments propres a lui donner lieu de se sauver, ou d’avoir des communications que vous ne connaîtriez point, il sera de vos soins et de votre vigilance de faire pendant les promenades que fera Monsieur de Lauzun et même pendant la nuit de temps en temps, de telles visites, qu’il ne puisse rien cacher dans sa chambre dont vous n’ayez connaissance ny entreprendre sur les murailles, grilles, ou portes de ses appartements, que vous ne vous en aperceviez. Au reste vous devez être persuadé que Sa Majesté vous donnera des marques de la satisfaction quelle a de vos services, dans les occasions qui se pourront présenter, de quoi je prendrai soin de le faire souvent avec beaucoup de plaisir.

J’ajoute ce mot pour vous dire que vous ne devez entrer en aucun discours, ni confidence, avec Monsieur de Lauzun, sur ce qu’il peut avoir »

Commentaire

Le roi a autorisé le chevalier de Lauzun à rendre visite à son frère. Louvois énumère les précautions à prendre pour prévenir une évasion du turbulent prisonnier. Une évasion serait catastrophique car le roi et la Montespan ont prévu de longue date de ne libérer Lauzun que quand il aura accepté de renoncer aux magnifiques propriétés que Mademoiselle lui a offertes il y a dix ans, et quand la romanesque princesse, brûlant de revoir son cher Lauzun, aura accepté, après avoir repris possession desdites propriétés, de les offrir au jeune duc du Maine, enfant chéri du roi et da favorite. Le plan va se dérouler comme prévu.

« Au reste, enchaîne Louvois désireux de terminer sa lettre par un encouragement, vous devez être persuadé que Sa Majesté vous donnera des marques de la satisfaction qu’elle a de vos services, dans les occasions qui se pourront présenter, de quoi je prendrai soin de le faire souvenir avec beaucoup de plaisir. »

Lettre de Louvois à Saint-Mars du 8 avril 1680 – page 5

Archives Nationales K120 n°302 – p5

« appris de Monsieur Fouquet, et plus vous le trouverez souple et complaisant pour vous, plus vous devrez renouveler vos soins pour sa garde, parce que homme au monde n’est plus capable de dissimulation que lui.

M. Louvois »

Commentaire

Ultime recommandation : ne jamais entrer en conversation avec Lauzun, surtout s’il se montre aimable. Louvois redoute que Saint-Mars, démoralisé par la perspective d’assurer à lui tout seul et jusqu’à la fin de leur vie la garde de d’Angers et La Rivière, ne se laisse tirer les vers du nez. Lauzun ne doit pas soupçonner ce qui se passe dans le sous-sol. Et, sait-on jamais, qu’il découvre qui s’y trouve.