Encouragé par un lecteur qui m’a écrit pour me remercier d’avoir, du moins l’affirme-t-il, « démontré comment un seul document négligé peu mettre à mal plus de deux siècles de version officielle », j’entame aujourd’hui un blog qui me permettra de m’attarder sur certains points particulièrement complexes ou méconnus de cette énigme, en entremêlant observations, souvenirs de recherche, digressions et anecdotes parfois révélatrices, comme l’a souligné Voltaire.
Une place sera bien entendu réservée aux observations et aux éventuels questionnements des lecteurs. Espérons que cette initiative apportera à la fois un éclairage complémentaire sur ce qui a été fait et une ouverture potentielle sur des réflexions nouvelles.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, et pour ceux qui découvrent cette énigme, en voici en quelques mots la problématique.
1687 – Naissance d’une légende
Le 30 avril 1687, un mystérieux prisonnier fait son apparition sur l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes, dissimulé dans une chaise à porteurs, portant un masque d’acier sur le visage et, de l’aveu même de son geôlier, Bénigne de Saint-Mars, menacé de mort immédiate s’il dit son nom. Cette destinée tragique et le mystère qui n’a cessé de l’entourer ont ému, intrigué et inspiré au cours des siècles suivants les plus grands esprits. Voltaire, Victor-Hugo, Alexandre Dumas, Marcel Pagnol, et bien d’autres.
Le fameux masque de métal, qui n’avait d’autre raison d’être que de l’empêcher d’être identifié par les membres de l’escorte, n’a pas manqué d’apporter au personnage une dimension légendaire et une auréole de romantisme.
Dès son arrivée à l’île Sainte-Marguerite, on sut – par des indiscrétions de son geôlier – qu’il avait vécu de longues années au donjon de Pignerol, alors citadelle française en terre piémontaise.
Ce que l’on sait en plus aujourd’hui, on le doit à l’abondante correspondance échangée au fil des années entre Saint-Mars et son supérieur hiérarchique, le ministre de l’Armée Louvois. Et à la minutieuse compatibilité du Trésor Royal détaillant de façon nominative les dépenses d’entretien et de nourriture de chacun des prisonniers du donjon.
1680 – Où tout a vraiment commencé
L’affaire débute en 1680 au donjon de Pignerol. Elle est complexe, mais la voici résumée en quelques mots.
Le 23 mars, le geôlier Saint-Mars informe par courrier le ministre Louvois de la mort subite de l’un de ses prisonniers, l’ancien surintendant des finances de Louis XIV, Nicolas Fouquet ; mort survenue après quinze années de réclusion et alors que celui-ci était sur le point d’être libéré.
Le 8 avril, dans une lettre que l’on peut considérer comme l’acte de naissance du futur Masque de fer, Louvois accuse réception de la lettre du 23 mars et ordonne à Saint-Mars de mettre au secret « les nommés Eustache d’Angers et La Rivière ».
Qui sont Eustache d’Angers et La Rivière ? C’étaient les deux valets de Fouquet. Si La Rivière est un domestique de longue date, Eustache était un personnage des plus mystérieux. Il a été lui-même prisonnier d’État, bien que de condition modeste. Il a été le détenteur d’un lourd secret dont on ne sait pas grand-chose, mais qui lui a valu d’être reclus plusieurs années dans une cellule isolée avant qu’une pénurie de valets le fasse mettre au service de Fouquet.
Saint-Mars dissimule les deux hommes dans un lieu retiré du donjon dénommé « la tour d’en bas ». D’où le pseudonyme de « Messieurs de la tour d’en bas » que leur attribue Louvois dans sa correspondance.
Pour faire court : c’est l’un de ces deux hommes qui, après un an et demi dans la tour d’en bas de Pignerol, puis un séjour de cinq ans dans une autre forteresse, sera conduit, avec les précautions que l’on sait, par le sieur de Saint-Mars, sur l’île Sainte-Marguerite, le 28 mars 1687.
Voilà, vous savez tout, ou presque.
La thèse du valet
L’énigme du Masque de fer est quasi résolue en ce qui concerne son identité, grâce à la lettre de Louvois du 8 avril 1680 dont il nous reste l’exemplaire conservé par Saint-Mars. Ce document nous donne le choix entre deux noms : d’Angers et La Rivière.
Selon toute logique, le Masque de fer est Eustache Danger. En effet, ce ne peut être La Rivière qui a toujours été un modeste valet et dont l’identité n’était en rien compromettante. En revanche, comme je l’ai dit plus haut, Eustache Danger était un prisonnier d’État avant d’être un valet, et il détenait un secret.
C’est la thèse dite « du valet ».
Mais qui cachait-on sous ce pseudonyme à l’écriture fluctuante – Dauger, Danger, Dangers, d’Angers – le 8 avril 1680 ?
Tous les deux ou trois ans, quelqu’un prétend l’avoir découvert. C’est à chaque fois un candidat différent. Ce qui rend sceptique.
Pour compliquer le tout, de nombreux chercheurs, et non des moindres, parmi lesquels Paul Lacroix, Pierre Jacques Arrèse, Jean Markale, et plus récemment l’Italien Mauro-Maria Perrot, ont manifesté leur conviction, solides arguments à l’appui, que le Masque de fer était en réalité Nicolas Fouquet.
Ce que j’ai découvert
Menant ma propre enquête, de la façon la plus méticuleuse, et parvenu moi aussi à la conclusion que Fouquet fut le Masque de fer, je me suis rendu aux Archives Nationales. J’y ai fait une découverte qui, à mes yeux, devrait clore le débat, puisqu’elle met en évidence que l’homme qui est vraiment mort à la prison de Pignerol en 1680, c’est bien Eustache Danger et non Nicolas Fouquet.
Il s’agit d’une lettre de Louvois à Saint-Mars datée du 12 mars 1680, évoquant la mort de l’un des deux valets de Fouquet. Or, nous savons, de par les correspondances qui ont précédé, qu’Eustache Danger venait d’être victime d’un grave accident de santé et, de par les correspondances qui ont suivi, que La Rivière était toujours en vie le 8 avril 1680.
La thèse dite « du valet » s’écroule. La thèse dite « du maître » devient possible. Nicolas Fouquet ne serait pas mort à Pignerol et ce serait lui le prisonnier de l’île Sainte-Marguerite, mais ceci fera l’objet d’une démonstration à part entière. Je vous invite d’ores et déjà à lire mon enquête en ligne si la question vous intéresse.
En attendant, quand j’ai publié la lettre du 12 mars 1680, connue de certains mais non portée à la connaissance du public, j’ai soulevé quelques remous. Et des contestations de la part des très nombreux partisans de la thèse Eustache Danger, parmi lesquels l’historien de renom Jean-Christian Petitfils, adepte de la thèse du valet depuis une cinquantaine d’années.
Ce sera l’objet de ma prochaine intervention.