Les protagonistes de l’affaire

François-Michel Le Tellier, marquis de Louvois

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Louvois : le ministre des Armées

Louvois reste, pour les historiens, le grand ministre qui a su doter la France d’une armée puissante et qui a su se rendre indispensable par sa puissance de travail. Louis XIV apprécie son efficacité en soulignant qu’en dépit de son caractère autoritaire et violent, son service est important pour les intérêts supérieurs de la France. Ainsi, à Mme de Maintenon qui lui demande : « Comment pouvez-vous le supporter, Sire ? », il répond : « Louvois est plus dangereux que le prince d’Orange mais il est nécessaire. »

En effet, le portrait moral que tracent de lui ses contemporains est peu flatteur. Le comte de Gramont, inspiré peut-être par La Fontaine, le compare en le voyant sortir du cabinet du roi : « à une fouine qui sort d’une basse-cour en se léchant le museau du sang des animaux qu’il a égorgés ». Selon Saint-Hilaire, secrétaire général de l’Artillerie : « Son humeur brusque et hautaine et sa férocité naturelle étaient toujours peintes sur sa figure et effrayait ceux qui avaient affaire à lui. Il était capable de tout sacrifier pour soutenir son autorité et ses intérêts. »

Si Louvois est considéré légitimement comme un ministre zélé, son immense ambition se révèle lorsque se sachant menacer de la Bastille, il confie à un ami :

« Que m’importe la prison si je ne suis plus le maître. »

Ce désir de domination dans les affaires de l’État sera à prendre en compte pour comprendre ce qui a motivé la naissance du mystère de l’homme au masque de fer.

Bénigne Dauvergne de Saint-Mars

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Saint-Mars : l’homme de main de Louvois

Le second protagoniste important de cette histoire est celui qui assurera la garde de l’homme au Masque de fer.

Saint-Mars est maréchal des logis quand il participe à l’arrestation du Surintendant Fouquet le 5 septembre 1661. Il en devient le geôlier, et ce durant les quatre années de procès. Il s’en acquitte si bien qu’il s’en voit confier la garde définitive quand Fouquet est condamné à la prison à vie. Saint-Mars est nommé gouverneur du donjon de Pignerol, prison d’État; il passe alors sous l’autorité directe de Louvois et devient rapidement sa créature.

C’est ici, à Pignerol que commence une correspondance qui a duré près de 25 ans entre Saint-Mars et son supérieur hiérarchique Louvois. C’est cette correspondance qui permet de reconstituer mois par mois, année par année, la vie et les tribulations de celui qui deviendra le Masque de fer.

Saint-Mars n’a jamais eu plus de 10 prisonniers d’État sous sa surveillance ! C’est donc parmi eux qu’il faut rechercher l’identité de l’homme au Masque de fer. Et ces 10 prisonniers vont tous se retrouver en un même lieu, la prison d’État de Pignerol.

Nicolas Fouquet

par Édouard Lacretelle
par Édouard Lacretelle

Nicolas Fouquet et ses valets : les premiers prisonniers à Pignerol (janvier 1665)

Nicolas Fouquet est le premier prisonnier de Saint-Mars et de loin le plus prestigieux. Pour savoir comment l’illustre Surintendant des finances a été condamné à la prison perpétuelle, remontons le temps de quatre années.

Le 9 mars 1661, le cardinal Mazarin meurt. Le jeune Louis XIV, âgé de vingt-trois ans, très impatient de prendre en mains les Affaires de l’état, s’adresse en ces termes à la Cour : « Jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le cardinal : il est temps que je gouverne moi-même. Vous m’aiderez de vos conseils… quand je vous les demanderai. » Selon un chroniqueur de l’époque : « Seul, ou presque, le Surintendant affecta d’écouter le caprice d’un jeune homme qui ne manquerait pas de changer de dessein. » Le Surintendant c’est Nicolas Fouquet dont le blason, orné d’un écureuil, porte la devise : Quo non ascendet ? Jusqu’où ne s’élèvera-t-il pas ?

Fouquet est riche, très riche. Il a beaucoup d’amis, d’obligés, de partisans. Il s’est lancé ces dernières années dans de grandes et mystérieuses entreprises. Il a fait l’acquisition sur la cote océane de Belle-Isle, de Concarneau, de l’île D’Yeu et du Mont Saint-Michel. Il s’est constitué une flotte de guerre. Ce faisant, il a fait bâtir son château de Vaux-le-Vicomte. Qui n’a entendu parler de la trop fastueuse réception qu’il offre au roi en son château de Vaux-le-Vicomte en aout 1661 ? D’Artagnan assiste à cette soirée légendaire et consigne dans ses Mémoires :

« M. Fouquet qui croyait faire sa cour au roi par la superbe réception qu’il lui a faite en eut une récompense bien différente de celle qu’il en attendait. »

Le roi manque de l’arrêter ce soir-là, mais il en est dissuadé par sa mère Anne d’Autriche. Ce n’est qu’un sursis. En effet d’Artagnan, le 6 septembre 1661, arrête Fouquet à Nantes puis le conduit au Château d’Angers. S’ouvre alors un long procès où l’on reproche à Fouquet d’avoir puisé dans les caisses de l’État et comploté contre le roi.

En décembre 1665, il est condamné au bannissement à vie. Le roi utilise d’une façon originale son droit de grâce en commuant l’exil en réclusion perpétuelle et choisit Pignerol comme lieu de détention. Le 16 janvier 1666 Fouquet franchit le pont-levis du donjon.

Saint-Mars l’accueille et le conduit à sa prison, qui jouxte son propre logement ! Dans l’antichambre logent ses deux valets. Car, à cette époque, un homme d’importance doit avoir un serviteur, même en prison. Et comme Fouquet est très important, il a deux valets qui se nomment Champagne et La Rivière. Ils ne devront pas sortir vivants du donjon, a décidé Louvois : Fouquet détient d’importants secrets. Ceux qui le côtoient doivent partager son destin.

Citadelle de Pignerol en 1666
Citadelle de Pignerol en 1666

Eustache Danger

Eustache Danger : le quatrième prisonnier

Le 19 juillet 1669, Le ministre Louvois annonce à Saint-Mars l’arrivée d’un quatrième prisonnier :

« Le roi m’ayant commandé de faire conduire à Pignerol le nommé Eustache, je vous prie de faire accommoder un cachot ou le mettre surement. Il faudra que vous portiez vous-même à ce misérable, une fois par jour, de quoi vivre toute la journée et que vous n’écoutiez jamais, sous aucun prétexte, ce qu’il voudra vous dire, le menaçant toujours de le faire mourir s’il vous ouvre la bouche pour vous parler d’autre chose que de ses nécessités. Comme ce n’est qu’un valet, il ne lui faudra pas de meubles bien considérables. »

Que faut-il retenir de cette lettre sachant que les historiens d’aujourd’hui considèrent Eustache Danger comme le masque de fer ? Son nom est de toute évidence un pseudonyme probablement inventé par Louvois et nous ne savons rien d’autre de lui et des motifs de son arrestation si ce n’est que c’est un valet qui habite à Calais. Une seconde lettre du ministre laisse entendre que ce « misérable valet » est porteur d’un secret redoutable dont Saint-Mars lui-même doit se garder d’avoir connaissance.

Sur ordre de Louvois, le sieur de Vauroy, Major de Dunkerque, se saisit d’Eustache et le mène à Pignerol dans une voiture de poste. Quelques jours plus tard Saint-Mars écrit au ministre :

« Monsieur de Vauroy a remis entre mes mains Eustache Danger. Aussitôt que je l’eus mis en un lieu fort sûr, je lui dis que s’il me parlait d’autre chose que de ses nécessités, je lui mettrai mon épée dans le ventre. »

Citadelle de Pignerol en 1669
Citadelle de Pignerol en 1669

Antonin Nompar de Caumont, duc de Lauzun

lauzun

Lauzun et son valet : les cinquième et sixième prisonniers

En 1671 arrive le cinquième prisonnier : il s’appelle Lauzun. Cet ancien cadet de Gascogne a connu une belle réussite à la Cour. Le roi qui aime les flatteurs et les gens d’esprit l’a pris sous sa protection au point de le nommer commandant de l’Armée des Flandres, au grand dam de Louvois. Les deux hommes se détestent.

Mais voilà que Mademoiselle, petite fille d’Henri IV et cousine germaine du roi s’éprend de Lauzun, décide de l’épouser et lui offre sans plus tarder ses deux plus belles propriétés, le comté d’Eu et la principauté des Dombes. Stupéfaction et courroux ! Le roi et sa favorite, la Montespan, assistent au détournement d’une partie de l’immense fortune qu’ils comptaient destiner à leur enfant, le duc du Maine, né un an plus tôt.

Ravi de l’opportunité de se débarrasser d’un rival qu’il déteste, Louvois jette de l’huile sur le feu. Le nom de Pignerol est murmuré. Une simple lettre de cachet et voilà Lauzun conduit à Pignerol en 1671. Saint-Mars se déclare prêt à le recevoir : « Je le logerai dans les deux chambres basses qui sont au-dessous de M. Fouquet ». On adjoint au disgracié un valet qui a pour mission de l’espionner.

Fouquet Champagne et La Rivière occupent le second étage, Lauzun et son valet le premier étage, tandis qu’Eustache Danger est cloîtré dans son cachot du sous-sol.

Citadelle de Pignerol en 1671
Citadelle de Pignerol en 1671

La Pierre

La Pierre : le septième prisonnier

La tour où logent Fouquet et Lauzun affiche complet. Quelques cellules sont encore disponibles dans une autre tour. En 1674, arrive le septième prisonnier. C’est un moine qui dans les salons de la Cour, prétendait posséder la pierre philosophale. Comme celle-ci avait la réputation de garantir une éternelle jeunesse, les dames de la Cour s’empressaient autour de cet étrange religieux. Jusqu’à ce que le roi le fasse jeter en prison comme imposteur. Louvois le dirige sur Pignerol. Le régime impitoyable qu’il lui impose aura vite raison de La Pierre, surnom dont l’affuble Louvois. Très vite, le moine devient fou à lier.

Dubreuil

Dubreuil : le huitième prisonnier

C’est un agent double. Après avoir instruit notre état-major sur le dispositif militaire autrichien il a, toujours moyennant finances, informé l’état major autrichien sur les positions françaises. Louvois n’a pas apprécié cet excès de zèle et Dubreuil se retrouve à Pignerol en 1676.

Matthioli

Matthioli et son valet : les neuvième et dixième prisonniers

Matthioli, secrétaire du duc de Mantoue, a fait échouer les négociations secrètes devant permettre à la France d’occuper Casals, place stratégique proche de Turin. Louis XIV venait de le couvrir de cadeaux. On ne trahit pas impunément le roi de France. Matthioli est arrêté, son valet le rejoint. Ils finiront leur vie dans les geôles royales. Il reste deux places disponibles dans la tour médiane de Pignerol, elles vont échoir au comte de Matthioli et à son valet en 1679.

Citadelle de Pignerol en 1679
Citadelle de Pignerol en 1679

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